Jeudi i 24 avril, un vieux camarade de prison –appelons le Hamid – m’a appelé pour me dire que Mohamed Uazzani, alias « El Nene » [le petit], un baron de la drogue de nationalité espagnole, venait d’être arrêté par la police dans [l'enclave espagnole de] Ceuta, où il est né. Considéré comme l’un des plus grands trafiquants de haschich au monde, il s’était évadé, le 7 décembre dernier, de la « Centrale », une prison de haute sécurité située à Kénitra, à 30 kilomètres au nord de la capitale, Rabat. Si El Nene a pu s’évader de la Centrale, m’explique Hamid, expert en la matière pour avoir passé la majeure partie de sa vie mouvementée derrière les barreaux, c’est qu’on l’a aidé à le faire. Il n’y a aucun doute possible. Lors de la première semaine de janvier, huit membres du personnel pénitentiaire ont en effet été accusés de complicité dans l’évasion d’El Nene et condamnés à des peines allant de deux mois à deux ans d’emprisonnement.Si Hamid m’a appelé pour m’informer de l’arrestation d’El Nene, c’est que nous nous sommes connus en 2003 à la prison Zaki de Salé [à côté de Rabat] : Uazzani (le nom qui apparaît sur le registre civil marocain) y était emprisonné pour narcotrafic, Hamid pour vol et moi pour avoir contesté certaines positions idéologiques et politiques du régime marocain.
Nous avons donc eu l’ »honneur », Hamid et moi, de nous trouver dans la même prison qu’El Nene, mais pas dans la même aile. Selon Hamid, qui l’a fréquenté, il vivait comme un pacha, traitait les gardiens comme des domestiques et, chaque jour, se faisait servir des plats combinés provenant de l’extérieur, des desserts raffinés et du café, que le personnel en uniforme lui amenait en courant pour éviter qu’il ne refroidisse. De temps en temps, il sortait discrètement avec l’autorisation – ou plutôt la complicité – du directeur de la prison et, pendant les fêtes religieuses et nationales, il se montrait très généreux en circulant dans les couloirs pour distribuer des billets de 200 dirhams (17,50 euros) aux gardiens, qui le remerciaient en implorant Allah de lui accorder une longue vie.
Il était l’un des rares détenus qui pouvait se permettre d’avoir les poches pleines de liasses de billets. Un gardien m’a raconté qu’une fois, El Nene a demandé au chef de détention, un type dur à lunettes qui torturait sans pitié les détenus récalcitrants, qu’il l’autorise à accéder à la prison des femmes, contiguë à celle des hommes. Prudent, le chef de détention lui a offert une alternative : il lui a permis de faire venir à sa guise des prostituées dans sa cellule. Et pas seulement pour lui, mais aussi pour ses potes.
Une rencontre explosive
J’ai rencontré El Nene trois fois. La première fois, c’était dans la grande cour de la prison, alors qu’on m’amenait à la salle des visites. Il n’avait pas la physionomie d’une brute de narcotrafiquant : il faisait plutôt songer à un enfant au milieu du groupe de durs à cuire qui le protégeait. La deuxième fois, je l’ai croisé à la sortie du bureau du directeur de la prison, qui s’était levé pour me raccompagner jusqu’à la porte. La fois suivante, j’ai eu des démêlés avec lui devant la porte de ma cellule, le jour de ma libération, le 7 janvier 2004.
Ce jour-là, je discutais dans le couloir avec l’assistant du procureur général de Tétouan, Marzuk Benazzuz, et les juges de la cour d’appel, Abdeslam El-Hajui et Abdellah Sallal, qui avaient été arrêtés en août 2003, accusés de complicité avec des narcotrafiquants, lorsqu’est apparu El Nene, avec sa bande de gardes du corps. Il venait saluer ces messieurs qui, apparemment, lui vouaient un grand respect, mais aussi exprimer son désaccord avec un article que j’avais écrit à son sujet dans « Crónica carcelera » [ mes carnets de prison], une rubrique que publiait à l’époque Courrier international [et reprise par le quotidien espagnol El País].Sur un ton ferme, il m’a apostrophé, avec son accent du Nord, en me disant qu’il n’avait pas apprécié que je le présente comme un baron de la drogue. Je lui ai répondu qu’il avait été condamné pour narcotrafic, pas pour avoir omis de payer une contravention au Code de la route, et qu’il devait l’accepter, parce qu’il était devenu un « personnage public », une « vedette ». Il a semblé ennuyé par cette dernière réflexion. En marmonnant de manière incompréhensible, il a manifesté des signes d’irritation. En présence des éminents magistrats, gardiens de la loi qui, cette fois-là, ont décidé de détourner le regard, il s’est mis à crier et à proférer des menaces et n’a cessé que lorsque deux gardes sont intervenus – avec une grande déférence – pour le raccompagner. Cet après-midi-là, les deux chaînes de télévision et les Télétype des agences de presse ont annoncé ma libération. Le jour même.
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